Rentrée... et sortie littéraire

Editions Le Télégramme, fin de l'histoire !

Sophie Picon, éditrice depuis 2007, regrette cette fermeture et s'inquiète d'un perte de la diversité dans l'édition régionale

(c)F.Betermin
(c)F.Betermin

C’est la Rentrée littéraire avec cette année encore près de 600 nouveautés qui alimentent à l’envi les tribunes médiatiques. Si en région aussi, on accueille comme il se doit cette déferlante littéraire dans la presse, on peut s'étonner du silence qui entoure la sortie littéraire d’une maison d’édition, qui a pourtant servi avec talent notre patrimoine et nos auteurs bretons pendant des années. Car dans l’ombre de cette joyeuse actualité, les Éditions Le Télégramme viennent d’annoncer officiellement la fermeture de leurs portes et de leur catalogue sur plus de 150 livres. Rencontre avec Sophie Picon, éditrice des Éditions Le Télégramme, qui trace le bilan et s’inquiète pour l’avenir de l’édition en région.

 

C’est avec regret que les libraires des Espaces culturels bretons ont appris cette nouvelle, toujours séduits par la qualité des ouvrages de cette maison d’édition régionale qui portait haut les valeurs d’une Bretagne moderne et ouverte sur le monde. Nous avons rencontré Sophie Picon, éditrice des Editions Le Télégramme, pour tracer le bilan de son aventure et comprendre ce qui en a motivé la fin. L'éditrice regrette cette fermeture et s’inquiète pour l’avenir de l’édition régionale et sa diversité.

 

"C’est la faiblesse de la diffusion qui a entraîné la fin des Editions Le Télégramme. On confie nos livres à des sociétés de diffusion et c’est à eux de faire le travail. A un moment, nous, éditeurs sommes impuissants. Nous n’avons pas la main là-dessus". C’est le constat amer que pose Sophie Picon, qui regrette la fin d’une aventure littéraire en région, embrassée en 2007 avec passion et enthousiasme. Titulaire d’un Doctorat d’Histoire contemporaine, cette Bordelaise d’origine a choisi la Bretagne par "affinité élective" en 2007 pour exercer ses talents d’éditrice. "J’ai découvert l’édition en commençant par écrire des guides. J’étais auteure pour les Guides bleus chez Hachette puis éditrice pour Les guides Marcus, les Guides Arthaud et enfin chez Hoëbeke dans le secteur des livres illustrés beaux-livres".

 

Par la suite Sophie Picon s'occupe des droits étangers pour des éditeurs français à Chicago pendant 4 ans. A son retour des Etats-Unis, les Editions Sud-Ouest lui proposent de devenir éditrice des Editions Le Télégramme et de s'installer à Brest. "Quand Sud-Ouest a décidé de me confier les Editions Le Télégramme, j’ai essayé de mener une ligne éditoriale proche de "la marque d’origine". Le Télégramme, est un quotidien qui est spécialisé sur la Bretagne mais une Bretagne moderne, d’aujourd’hui. Cela voulait dire pour moi qu’il fallait travailler des sujets sur la Bretagne mais avec une approche contemporaine, ouverte sur tout un tas de sujets actuels. Avec Isabelle Garcia puis Laura Rouquié qui travaillaient avec moi, nous programmions une vingtaine de livres par an : des livres de cuisine, des monographies, des essais, des beaux-livres, des romans, des livres dédiés au patrimoine breton".

 

Sophie Picon : chef d’orchestre d’une ligne éditoriale moderne et ouverte sur le monde

 

Auteurs, libraires, acteurs du livre, tous s’accordent à dire combien Sophie Picon avait su imposer depuis 6 ans une ligne éditoriale incontournable pour l’édition en Bretagne, porteuse de regards neufs sur un patrimoine vivant. Elle avait mis un point d’honneur dès son arrivée à créer des relations directes et durables avec les libraires mais aussi les acteurs du livre en participant notamment aux salons du livre régionaux. Résultat, les ouvrages parus sont dénués d’une approche nostalgique de la Bretagne mais révèlent au contraire, chacun à leur manière, une facette très moderne de la région pour s’ancrer sur des questions plus contemporaines. Exemple frappant avec L’Atlas du Patrimoine maritime signé Françoise Péron qui aborde la question du patrimoine maritime aujourd’hui et nous fait découvrir à travers ce bel ouvrage, ce qu’en fait la Bretagne.

Une thématique maritime certes très présente aux Editions du Télégramme qui dessine peu à peu un lien bleu comme fil rouge pour parfois quitter la Bretagne avec des ouvrages comme celui consacré à Philippe Harlé, architecte naval, préfacé par Isabelle Autissier.

 

Son approche du métier et des gens, lui permet très vite de créer autour d’elle, un petit groupe d’auteurs bretons. "C’était tout l’avantage d’être basée à Brest. Certains sont venus à nous avec des propositions d’ouvrages comme Michel Glémarec qui nous a offert son regard tellement intéressant sur le peintre breton Mathurin Méheut à travers la biodiversité maritime. C’était ensuite à nous de lui proposer une méthode, l’arborescence du livre. Et parfois, c’est nous qui formulions une commande. Ce fut le cas quand nous avons décidé de faire un livre sur Brest juste après l’inauguration de son tramway avec Christian Campion, journaliste implanté à Brest et Franck Betermin, photographe né à Brest. Il faut savoir que dans le livre illustré, le beau-livre, les éditeurs sont souvent à l’initiative du livre. Ce sont eux qui rapprochent les auteurs et créent des rencontres entre auteur et photographe ".

 

Et c’est bien ce qui passionne Sophie Picon dans ce métier, ce côté chef d’orchestre qui met en page la petite musique que chacun apporte avec lui pour en faire une œuvre chorale. L’éditeur selon elle, est celui qui rassemble, coordonne et donne le ton d’une idée ou d’un concept autour duquel il faut rassembler auteur, photographe, maquettiste, relecteur. Aujourd’hui, elle dresse un bilan positif sur le chemin parcouru mais regrette profondément la disparition d’une maison d’édition qui avait toute sa place dans le paysage éditorial breton. La faute à la crise ? … Le résumé est un peu court et n’intègre pas un autre problème qui persiste et ronge l’édition en région : la non-reconnaissance de ses pairs nationaux/parisiens !

 

La diversité de l'édition régionale : chronique d’une mort annoncée ?

 

"Quand on ne fait que 20 livres par an, c’est très difficile de vivre. Le groupe Le Télégramme avait donc choisi de s’adosser aux Editions Sud-Ouest, parce que regroupées sous trois identités, il y avait 200 livres édités par an. Cela permettait de réduire de manière notoire les coûts de fabrication et nous pouvions ainsi proposer des beaux-livres à moins de 25 euros". Comme l’explique Sophie Picon, seule, la maison d’édition bien-sûr ne pouvait pas répondre aux contraintes éditoriales de l’édition. "L’à-valoir des auteurs, le papier, l’imprimeur, le diffuseur… tout est payé avant même que le livre n’arrive en librairie. Et la diffusion représente 56% du prix du livre à la vente. La seule possibilité pour une petite structure éditoriale aujourd’hui est de trouver des solutions de mutualisation des coûts et peut-être même les ressources humaines".

 

L’annonce il y a quelques mois de la fin des Editions du Télégramme au sein du groupe Sud-Ouest n’a malheureusement généré aucune réflexion particulière au sein de la direction du groupe Le Télégramme pour permettre à la structure éditoriale brestoise de perdurer. Dommage !

 

"Ce n’est pas que l’édition régionale n’a pas sa place dans le paysage national, mais nous ne sommes pas reconnus comme des professionnels. On nous prend pour des amateurs, des gens qui mettent juste en valeur des histoires de clochers. Aux yeux de la presse littéraire, l’édition régionale n’existe pas, aucun d’entre nous ! C’est sans doute vrai aussi pour les libraires au niveau national, qui même lorsque l’on traite d’un sujet d’intérêt national comme par exemple La grande histoire du sauvetage en mer de Michel Giard ou la biographie d’un auteur unanimement reconnu comme Jack Kerouac. Breton d’Amérique, nous obtenons difficilement une écoute nationale. De plus, il est très difficile de percer en dehors de la région au niveau des ventes de livres, d’avoir une visibilité quand on ne maîtrise pas la diffusion ".

 

Dans cette Europe des régions où la radio, la télévision, la presse et de plus en plus aujourd’hui, la culture, l’économie, l’agroalimentaire jouent la carte des valeurs à porter et du dynamisme à valoriser, il semble que l’édition traîne encore à trouver son second souffle. Aujourd’hui Sophie Picon regarde avec regrets quelques projets avortés comme ce livre en images sur la libération de la Bretagne qu’elle préparait avec un universitaire breton (- qui sortira finalement aux PUR-), mais estime surtout que la perte la plus grande, est celle de la diversité éditoriale qui voit peut-être là la première chronique d’une mort annoncée.

A moins que des initiatives collectives et régionales décident d'organiser son maintien en fédérant et mutualisant les atouts et les outils de chacun. Encore faut-il que l'appel soit entendu et relayé...

 


Petite revue de pages des Editions Le Télégramme

Et tant d'autres ouvrages qui mériteraient d'être valorisé par les anecdotes et la passion qui animent Sophie Picon lorsqu'elle évoque ces livres comme de véritables aventures humaines...Tous les titres du catalogue restent disponibles via la diffusion des Editions Sud-Ouest


Hommages, témoignages et commentaires...

Si la presse régionale n'a pas (encore ?) traité l'information, la fin des Éditions Le Télégramme a été accueillie comme une triste nouvelle côté libraires, auteurs et lecteurs. Certains ont souhaité réagir et adresser un témoignage en hommage à Sophie Picon, à son travail, ou plus largement à la qualité des ouvrages parus au catalogue. Vous aussi, laissez un commentaire, un souvenir de lecture, de rencontre littéraire, votre avis ou votre vision sur l’édition régionale :

 

"A l'heure où le terme biodiversité sortait enfin (2010) du domaine réservé des scientifiques, Sophie Picon avec tact et intelligence a réussi à me faire passer le pas de

Biodiversité, terme tarte à la crème ? C'est bien le professionnalisme de S. Picon qui m'a permis de transposer des textes arides d'une directive européenne en ouvrage de référence avec les magnifiques illustrations de Mathurin Méheut. Ensuite S.Picon et Laura Rouquié nous incitèrent à développer les liens entre l'art et la science toujours avec Méheut. Ces 2 ouvrages ont largement contribué à étendre la notoriété de l'artiste bien au-delà des limites bretonnes, ceci en pleine actualité mais sans aucune malicieuse opportunité. Il ne me reste plus qu'à rentrer sous mon caillou".

Michel Glémarec

Auteur entre autres de La biodiversité littorale vue par Mathurin Méheut

 

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"Il est logique de rendre hommage aux qualités professionnelles et humaines de Sophie. Pour ma part, j'ai eu l'occasion de collaborer avec Sophie Picon et ses assistantes pour la publication de cinq ouvrages. Ce fut vraiment un plaisir de travailler avec de véritables "professionnels du livre" qui connaissaient bien leur métier et qui apportaient à l'auteur un éclairage toujours judicieux. A la sortie toujours des livres d'excellente facture! Le monde de l'édition en Bretagne - et dans le Grand Ouest- perd l'un de ses fleurons car la ligne éditoriale suivie par les éditions du Télégramme sortait de l'ordinaire ; Une fois encore, l'identité des régions est attaquée quand des voix se trouvent réduites au silence avec la fermeture des éditions du Télégramme, le pavillon breton est ce soir en berne; c'est bien dommage !"

Michel Giard

auteur entre autres de La grande histoire du sauvetage en mer

 

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"Aujourd'hui, les éditeurs (je veux dire, les personnes, pas les sociétés ou les marques) dignes de ce nom, comme Sophie Picon, se comptent sur les doigts. Je veux dire, ceux avec qui l'auteur travaille en toute confiance, sachant qu'il ne sera jamais trahi, que les éventuelles faiblesses de son travail seront repérées et signalées, et que d'un bout à l'autre de la chaîne éditoriale, le professionnalisme commandera à toute décision. Au fil des années, cette évidence est devenue rareté. C'est pourquoi je la signale. Et en ma qualité d'observateur privilégié du milieu de l'édition, je sais — malheureusement — de quoi je parle".

Dominique Le Brun

auteur entre autres du roman Quai de la Douane

 

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"C'est effectivement, avec mon expérience d'une cinquantaine de livres publiés, l'une des très rares éditrices/éditeurs qui m'a donné le sentiment de vraiment faire son métier à tous points de vue. Il est toujours attristant de voir disparaître une maison d'édition, quelle qu'elle soit. C'est beaucoup plus grave quand cette maison était portée par une personnalité qui l'animait vraiment. Sophie Picon savait susciter des projets originaux, encourager les auteurs, les protéger et prévenir tout ce qui peut si facilement devenir une source de conflit dans le domaine de la création. Son expérience et son professionnalisme n'étaient jamais pesants mais permettaient d'aller bien au-delà de ce qui serait sorti dans le cadre habituel.

 

Tout est sans doute dans ce simple message de Sophie Picon : "Est ce que vous serez d'accord lorsque nous ferons partir le service de presse de venir à Brest pour dédicacer les ouvrages ? Et nous vous garderons à déjeuner." Faire dédicacer les services de presse, c'est le souci professionnel du détail mais cela reste sous une forme interrogative ; "retenir" à déjeuner, c'est le souci du détail sensible mais c'est sur le ton de l'évidence. Voilà qui relève du style de l'écriture mais qui est aussi celui de la personne. Cela ne s'enseigne probablement pas dans les formations aux métiers de l'édition et c'est bien dommage. C'est ce qui rendait si précieuse Sophie Picon là où elle était".

François de Beaulieu,

auteur entre autres de Dictionnaire du Golfe du Morbihan

 

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"Je suis triste de l'annonce de l'extinction des Editions Le Télégramme. Il se trouve que depuis mes grands-parents brestois, Le Télégramme est dans ma culture depuis plus de soixante ans. C'est la raison pour laquelle, la découverte des Editions Le Télégramme m'a fait plaisir quand j'ai eu mes premières opportunités d'y intervenir dans le cadre de leurs nombreuses publications "à l'italienne' sur les Peintres Officiels de la Marine. J'ai eu personnellement un vrai bonheur à travailler en 2006 avec André Rozen et Michel King sur La pêche en Bretagne illustrée par les peintres officiels de la Marine. Je conserve un merveilleux souvenir de cette collaboration enthousiaste autour d'un livre entre professionnels épris d'art et soucieux de transmettre un message populaire. Il est clair que chaque disparition d'un éditeur est une déchirure du paravent fragile tendu par les éditeurs et les libraires contre le déferlement du numérique et des ventes sur internet. Le livre sur papier reste un objet culte dont la défense doit interpeller tous les acteurs et tous les usagers de la culture selon nos valeurs".

Contre-Amiral François Bellec,

Ecrivain de Marine, Peintre officiel de la Marine,

auteur de La Pêche en Bretagne

 

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"Quand les éditions du Télégramme ferment leur porte, c’est une part majeure du livre breton qui se retrouve sans repère. Sophie Picon avait une part d’exigence qui témoignait de son amour du bel ouvrage, de son envie de porter haut les auteurs qu’elle publiait. Je n’oublie pas que sans elle, Coureurs d’Océans produit en collaboration avec Benoît Stichelbaut, n’aurait peut-être pas vu le jour. Cela reste aujourd’hui le livre dont je suis le plus fier. Pour cela déjà, simplement merci… "

Pierre-François Bonneau,

auteur de Coureurs d’océans

 

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"C’est que j’ai tout de suite reconnu en Sophie une excellente professionnelle, une véritable éditrice soucieuse d’offrir aux lecteurs un travail de qualité. Je parle à la fois en tant que directeur de Livre et lecture en Bretagne mais aussi en tant qu’ex-éditeur".

Christian Ryo,

Directeur de l’EPCC Livre et Lecture en Bretagne

 

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"Une maison d'éditions qui met la clé sous la porte, c'est une très mauvaise affaire... Sophie a donné, à la suite d'Anne Durand, une vraie dynamique aux EdT, avec une grande finesse, beaucoup d'enthousiasme, et un accompagnement actif des auteurs. Elle va manquer dans le paysage brestois et breton. Dommage !"

Laurent Mérer,

auteur du roman Alindien

 

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"On se souvient tous de nos premières fois... Sophie Picon restera celle qui aura publié mon premier ouvrage ! Cela compte ! Je garde un excellent souvenir de mes rencontres avec elle durant le retravaille du manuscrit. Autre grand moment aussi que celui du Salon Brestois où j'avais présenté mon ouvrage en sa compagnie... Merci Sophie pour ta gentillesse, ton professionnalisme et ta ténacité..."

 

Guillaume Alexandre

auteur de Oreille d'or

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Commentaires: 1
  • #1

    MC (jeudi, 16 octobre 2014 09:12)

    Une pensée pour Anne Durand qui porte le projet à bout de bras, il y a plus de 15 ans. Par mont et par vaux, elle sillonne les routes des départements bretons, et bien au-delà, à la recherche de nouveaux distributeurs ; structure une équipe commerciale, définit une ligne éditoriale, considérant les auteurs avec cette passion du livre, de la Bretagne, chevillées au cœur et au corps. Et avec…les moyens du bord.